top of page

Cours d'économie des médias

Chapitre I.

Médias & Information

Avant d’entrer dans l’analyse économique des médias, il est essentiel de poser les fondations conceptuelles. Que recouvre le mot « média » aujourd’hui, à l’ère des réseaux sociaux, de l’intelligence artificielle et de l’info en continu ? De quand date-t-on l’apparition des médias de masse ? Et à partir de quand parle-t-on d’« information » au sens journalistique du terme ?

Ce premier chapitre explore les définitions fondamentales, les repères historiques et les grandes étapes d’évolution des médias. Il examine comment les techniques de communication, les usages sociaux et les modèles économiques se sont construits et influencés mutuellement. Le développement des médias ne peut être compris sans s’intéresser à la demande d’information, aux usages du public, aux intentions de ceux qui produisent et diffusent du contenu, et aux logiques d’investissement derrière la détention d’un média.

Il s’agit aussi de comprendre en quoi un média n’est pas un canal neutre, mais un acteur qui sélectionne, hiérarchise, interprète l’information. Pourquoi s’informer ? Quels sont les ressorts individuels, sociaux, politiques ou économiques de cette démarche ? Pourquoi posséder un média ? Est-ce un outil de pouvoir, d’influence, de rentabilité ?

À travers ce chapitre, l’objectif est de donner aux étudiants des clés pour comprendre la complexité de l’univers médiatique contemporain : des premières imprimeries aux plateformes numériques, de la presse papier à TikTok, des journalistes aux algorithmes. Il s’agit enfin de poser les bases d’un vocabulaire commun qui servira de socle pour les analyses économiques à venir.

5.

Qu'est-ce que l'information ?

Ce module explore ce qui fait qu’un contenu devient une information : intention de transmission, sélection, hiérarchisation, vérification. Il différencie l’information du divertissement, de la communication ou de la rumeur. Il introduit aussi les critères de qualité journalistique et questionne les mutations de l’information à l’heure des réseaux sociaux, de l’instantanéité et des algorithmes. Une réflexion essentielle pour mieux comprendre la fabrique de l’actualité.

40 min

Ce module explore ce qui fait qu’un contenu devient une information : intention de transmission, sélection, hiérarchisation, vérification. Il différencie l’information du divertissement, de la communication ou de la rumeur. Il introduit aussi les critères de qualité journalistique et questionne les mutations de l’information à l’heure des réseaux sociaux, de l’instantanéité et des algorithmes. Une réflexion essentielle pour mieux comprendre la fabrique de l’actualité.

a. Qu’est-ce qu’une information ? 

 

Quels synonymes utiliser pour le mot « information » ? « Nouvelles » ? « Actualités » ? Un fait survenu en 1976 et donné à la connaissance du public aujourd’hui est-il une information ? Ou est-ce sa publication aujourd’hui qui en est une ? On note un prisme fort de la notion de proximité temporelle voire d’immédiateté pour décrire ce qui est constitutif de l’information. 

 

Qu’est-ce qui mérite d’être qualifié d’information ? Qu’est-ce qui mérite d’être présenté dans un flash info ? Au journal télévisé de 20h ? D’être publié dans un quotidien national ? D’être publié dans un hebdomadaire local ? Dans un magazine spécialisé ? On sait que l’élection d’un nouveau président, la chute d’un cours de bourse… sont des informations. On sait que le fait que ma grand-mère se soit acheté une nouvelle voiture n’est pas une information.

 

Pour tous les « événements » entre ces deux extrêmes, la question peut se poser. L’information est une matière vivante sans limites réellement définies, c’est pour cela que la production d’informations et la hiérarchisation que réalise chaque média sont organisées autour de conférences de rédaction, parfois assez libre, souvent ouvertes. C’est aussi pour cela que l’information se définit par : 

  • une pratique : les 5 W - who, what, when, where, why, et un code de déontologie

  • une astuce tautologique : une information est un événement rendu compte par un journaliste, le journaliste étant lui-même défini par le fait de travailler dans un média d’information. 

 

Du point économique, Nathalie Sonnac, dans L'Industrie des Médias à l'ère numérique, introduit le concept de « news » pour cerner le concept d’information-actualité qui s’oppose au concept d'« information » dans son cadre généraliste d’économie ou de société de l’information : une « news » est une information qui a été sélectionnée et diffusée et qui, par là même, acquiert une valeur marchande.

 

D’un autre point de vue, celui de Camus, le journalisme c’est « écrire l’histoire au présent ». Cette définition a le mérite de nous ramener sur les rails de l’épistémologie et de ses débats face à la matière Histoire : qui l’écrit, à quel moment et à partir de quelle pièces, quel matériel et en laissant de côté quelles pièces, quel matériel ?

 

L’information n’est jamais un fait brut, elle devient information à partir du moment où elle est relayée, relatée, racontée. On ne peut s’intéresser à l’information sans s’intéresser à son traitement. Nous y reviendrons au chapitre sur les caractéristiques des biens médiatiques pour développer les notions de ligne éditoriale et de qualité des contenus. Avant cela, il est intéressant de noter qu’il existe des différences culturelles quant au traitement de l’information que Francis Balle compare selon les axes suivants :


Balle, Francis. Les médias. Page 13.
Balle, Francis. Les médias. Page 13.

 

Finalement, définir précisément le terme d'« information » est tout aussi compliqué que de définir celui de « média ».

 


b. L’information, à quoi ca sert ?

 

Le rôle des médias d’information est de collecter (enquêter, sourcer), produire et de diffuser des informations. A quoi cela sert-il ? Il faut distinguer deux pistes de réflexion : En quoi l’information est-elle nécessaire ? En quoi l’information nous est-elle nécessaire ? Ce cours n’est ni un cours de sociologie, ni un cours de psychologie cependant nous devons essayer de comprendre les déterminants de la demande.   

 

L’information a, tout d’abord, une utilité citoyenne. La presse n’est pas un rempart en soi contre les mauvaises pratiques dans le monde de la politique, économique, sportif… Mais lorsque la presse les révèlent au grand public et parfois à la justice, celles-ci peuvent être sanctionnées a posteriori. L’exemple le plus marquant ces dernières années est la révélation des systèmes de surveillance mis en place à grande échelle par les services secrets américains et britanniques par le Guardian (révélations dont on peut suivre la génèse dans le documentaire Citizenfour). Jusqu’à ce jour, l’exemple le plus connu parce qu’il implique directement le Président des Etats-Unis est la révélation des écoutes du Watergate ordonnées par Nixon (voir All the President’s men pour l’enquête du Washington Post et Frost vs. Nixon pour l’interview qui avouer Nixon).

 

Du point de vue de l’individu, l’information représente un investissement en capital humain puisque le temps qu'il y alloue lui permet d’augmenter son stock de savoir. 

 

L’information a, enfin, une utilité sociale. Qu’il s’agisse d’un contexte professionnel ou privé, échanger autour d’une information - quelle qu’elle soit - permet de révéler son savoir (expertise), d’affirmer ses idées et ses valeurs (identification), de s’opposer à des idées et valeurs (revendication) et d’en construire (participer). En cela, on note que les médias remplissent leur rôle puisque 76% des français déclarent porter un intérêt aux informations diffusées par les médias de presse écrite, audiovisuelle et sur Internet. Ce score reste stable depuis plus d'une dizaine d'années au Baromètre TNS - Sofres de la confiance dans les medias.


c. Le journalisme, un 4è pouvoir ? A qui appartiennent les médias ?

 

Dans Les Médias, Francis Balle rappelle que l’expression « 4è pouvoir » revient par Soljenitsyne en 1978 pour qualifier les médias en  s’adressant à des étudiants de Harvard : « La presse est devenue la force la plus puissante des États-Unis, elle dépasse, en puissance, les trois autres pouvoirs ». 

 

Les médias - d'information qui enquêtent ou font du reportage - ont pour mission de montrer les faits, de mettre au jour des scandales politiques, économiques, sportifs… Pourtant, il y a une tension entre les médias d’information et le grand public. On ne fait pas tant que ça confiance aux médias. Le Baromètre de confiance dans les medias 2025, la TNS - Sofres pour La Croix montre que 62% des sondés indiquent se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d'actualités. Dans de précédents baromètres récents, 70% des sondés indiquaient penser que les journalistes ne sont pas indépendants et qu'ils n'ont globalement pas confiance dans les médias.

 

En matière d'indépendance, le soupcon peut se porter sur les médias dont les groupes auxquelles ils appartiennent opèrent dans d'autres secteurs de l'activité économique (en France le luxe, de la construction, de l'armement ou des télécoms). Le tableau ci-dessous présente les propriétaires ou actionnaires des grands journaux, magazines et des grandes chaînes en France.


ree

Le Monde diplomatique. Médias français : qui possède quoi.

 

On se méfie aussi des médias parce que leurs revenus sont largement déterminés par les dépenses publicitaires des annonceurs. Il est de notoriété publique que des annonceurs ont déjà retiré des budgets publicitaires suite à la parution d’un article dérangeant. Aujourd'hui, cela se sait de plus en plus vite et le revers de bâton peut se faire au détriment de l'annonceur.

Même sur le service public, on pourra suspecter les journalistes d'être de connivence avec le pouvoir ou une opposition...

Lorsque l’on évoque un 4è pouvoir, celui-ci vient spontanément contre-balancer les trois autres pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. Les manquements de la classe politique, les abus… doivent être sus par le grand public. Pour autant, c’est en général lorsque la relation démocratique entre les trois pouvoirs et le peuple est défaillante que la liberté des médias l'est également. Ainsi, la liberté de la presse n'apparaît pas tant comme un pré-requis mais plus comme une résultante de l'existence d'un espace démocratique.

 

Le pouvoir de l'actionnaire est présent dans les entreprises de média tant au niveau du management de l’entreprise que de sa structure de recettes. Posséder un média, au-delà du capital, c'est développer une influence potentielle. En contraste, on peut supposer une liberté plus grande en matières d’enquête et de ton sur le service public. On observe, en effet, que certains faits touchants des actionnaires sont oubliés ou relayés en brèves dans leur(s) titre(s). Cependant, des contre-exemples comme celui de l'enquête du Monde à l'été 2019 montrent qu'un journal peut enquêter en profondeur sur ses actionnaires. Il existe, par exemple, au sein des rédactions, des sociétés des journalistes qui s’assurent que ces pratiques sont absentes ou restent marginales et qui peuvent contre-balancer ou critiquer la prise de position d’un actionnaire ou du management.

 

Si le rôle du journaliste et des médias et de révéler des informations, ce 4è pouvoir s’exerce dans des cadres différenciés selon la structure de l'entreprise, et avec des limites variables qui dépendent de l'implication et des objectifs des actionnaires. Le documentaire Murdoch, le magnat des médias d’Andrew Orr enquête sur l’influence qu’aurait eu Rupert Murdoch sur le résultat de l'élection présidentielle américaine en 2000 lorsque Fox annonce la victoire de Georges W. Bush avant la publication des résultats (favorables à Al Gore), ou sur l’élection de Tony Blair au Royaume-Uni soutenu par le Sun, News Of the World, le Times... 

 

Ce sont les mécanismes de décision entre l'actionnariat, la direction générale et la régie d'une part et la rédaction d'autre part, ces mécanismes qui doivent garantir l'indépendance des journalistes dans l'exercice de leur travail, qu'il faut examiner. Le plus souvent ils existent et sont respectés.

« Nous n’avons pas peur de la puissance de la presse, mais nous ne tolèrerons pas la puissance de l’argent ». C’est ainsi que Pierre Mauroy explique la loi anti-concentration à la tribune de l’assemblée nationale en 1981. Ainsi, en France, c’est sur un équilibre entre liberté d’entreprendre et des limites cadrées par l’Etat quant à la taille de groupes que la presse est supposée assurer (le relais de) la pluralité des opinions.


d. Les médias face à leurs indépendances : comprendre un concept pluriel


Médias et information - L’indépendance est un des premiers critères de fiabilité


Remarquons rapidement que l’on n’attend d’aucune autre forme d’entreprise qu’elle soit indépendante. Une entreprise dépend de ses fournisseurs pour lui apporter ce qui est nécessaire à la fabrication d’un produit ou d’un service qu’elle commercialise auprès de ses clients, parfois en passant par des distributeurs, dont elle dépend tout autant. C’est en général parmi les professions réglementées, dans le secteur non-marchand et dans le domaine politique que l’on s’intéresse à l’indépendance des associations, organisations non-gouvernementales ainsi qu’aux agences et administrations de l’État. À juste titre, on pense que la mission de ces familles d’organisations, qui visent bien souvent à délivrer un bien public ou à assurer un service public, ne doit pas être dévoyée ou orientée par des investisseurs ayant d’autres intérêts. 


S’intéresser à l'indépendance des médias, c’est donc reconnaître que les médias ne sont pas des acteurs économiques comme les autres, que ce qu’ils produisent - de l’information - a une valeur de bien public et une valeur sociale puisque l’information fait le cœur et le sel de nos discussions, qu’elle est à la base de nombre de nos décisions dans les aspects personnels et professionnels de nos vies. S’intéresser à l'indépendance des médias, c’est aussi certainement être vigilant et exigeant quant à la qualité et à l’impartialité des informations qui y sont diffusées. 


Avec le terme « les médias », on englobe souvent indifféremment tous les supports (la télévision, la radio, les journaux et magazines, le web), des centaines d’entreprises de nature, d’objet, de taille toutes très différentes les unes des autres et 35 000 journalistes au bas mot. Le métier de présentateur du journal télévisé et celui d’un journaliste jeux vidéo n’ont que peu à voir, et pourtant l’un et l’autre peuvent subir des pressions quant aux traitements des informations qu’ils vont diffuser. Qu’on soit citoyen ou consommateur, il est bien évidemment légitime de se demander si ce que l’on regarde ou ce qu’on lit est vrai. Si on peut avoir confiance dans un visage ou une signature et la marque du média apposée quelque part sur l’écran ou la feuille de papier. 


En réalité, les opportunités d’influence d’un tiers sur une rédaction sont multiples. On ne peut pas dire que tous les médias sont indépendants en France aujourd’hui. D’ailleurs, quelques médias n’ont plus de rédaction, ou quasiment. Pourtant, la grande majorité des médias ont mis en place des règles qui garantissent et imposent aux journalistes de faire leur travail avec déontologie. Et l’écrasante majorité d’entre eux le fait, sans aucun doute.



Indépendances des médias et des rédactions - Clarifier le terme pour complexifier le débat


Compte tenu de la diversité des modèles, chaque cas mérite un peu d’attention. Pour essayer d’examiner quelles sont les indépendances qu’un média doit mettre en place pour protéger la qualité de ses informations, il convient de se poser successivement quelques questions au sujet de leur forme juridique, de leur structure actionnariale, de leurs types de financement mais aussi de leur distribution. 


Multiplicité des possibilités de dépendance des médias et des rédactions
Multiplicité des possibilités de dépendance des médias et des rédactions

À qui appartient le média ? Quel est le lien entre l’actionnaire et la rédaction ? 


Le média examiné appartient-il à l’État, à un groupe de médias, à un groupe industriel, à ses fondateurs – journalistes ou non – à ses lecteurs, à un fonds, à une association ? Spontanément, on peut se dire que telle forme est plus protectrice de l’indépendance d’une rédaction, comme l’appartenance à une association, à un fonds ou à ses lecteurs, qu’une autre qui serait plus pernicieuse. 


Dans certains cas, l’actionnaire a une influence directe sur la politique éditoriale du média. Lorsque le média est dirigé par ses fondateurs, eux-mêmes journalistes, cela semble assez logique. Lorsque le média appartient à un groupe ou à un État, l’indépendance d’une rédaction peut a priori poser question. Dans certains cas, l’actionnaire (privé ou public) explicite contractuellement et organisationnellement sa non-intervention dans la politique rédactionnelle de son média, pour en préserver la valeur. Il peut décider en collaboration avec la rédaction d’y adjoindre des outils de vigilance comme un conseil de surveillance. Ou, au contraire, il peut refuser aux équipes éditoriales la mise en place d’une charte de déontologie et provoquer la démission de rédactions entières lorsqu’elles ne se sentent plus libres de travailler. Pour examiner de plus près la réalité de l’indépendance entre l’actionnaire et la rédaction, on peut se demander si le détenteur d’un média peut ou s’il a déjà imposé une Une ou un sujet, fait supprimer un sujet ou un article, ou écarté un journaliste. On peut vérifier s’il a un agenda politique en comparant les temps de parole accordés à tel ou tel parti et son implication dans une campagne électorale. On peut aussi regarder si le média couvre son actionnaire (privé ou public) et en quels termes. 


Comment le média finance-t-il ses activités ? 


Le média est-il financé par ses abonnés ou par des donateurs, par ses ventes au numéro, par un impôt, par la publicité uniquement, par un mixte de tout cela, par des aides et subventions, par des accords commerciaux avec les plateformes, moteurs de recherche et réseaux sociaux ? 


Très peu de médias sont rentables uniquement grâce à leurs lecteurs ou donateurs. Ces médias-ci sont le plus souvent des médias reconnus pour leurs enquêtes, leurs informations exclusives ou leurs sujets pointus qui se sont aussi dotés de structures actionnariales visant à protéger l’indépendance de leur rédaction. 


Les budgets des médias de l’audiovisuel public sont votés chaque année et définis dans le cadre de contrats pluriannuels avec l'État. L’élection de leur PDG se fait sur la base d’un projet examiné par l’Arcom (ex CSA). Même si on n’imagine pas que les “sages” puissent choisir un candidat qui n’ait pas la faveur du gouvernement, l'État en France s’intéresse plus au budget qu’à la ligne éditoriale de ces médias. 


La plupart des médias ont adopté un modèle mixte basé sur les revenus publicitaires et les revenus de l’abonnement. Lorsqu’une entreprise ou une institution - l’annonceur - finance une proportion importante des activités d’un média, on peut se demander si la rédaction ne fera pas preuve d’auto-censure ou ne sera pas empêchée dans sa capacité à enquêter. Par ailleurs, les menaces d’un annonceur sur un média via le gel de son budget publicitaire sont régulièrement révélées dans des médias spécialisés ou d’enquête. S’il n’est pas illogique de s’attendre à ce qu’une entreprise tente de faire pression sur un média, il nous faut nous demander si ces médias ont renoncé à leur enquête ou éviter de diffuser une information. D’où l’importance de vérifier si le média en question s’autorise à couvrir ses annonceurs, ou non, et en quels termes. D’où l’importance également de la diversité des titres et surtout de leur santé financière pour investir dans l’enquête et éventuellement pour se passer de l'annonceur dont les pressions sont avérées, comme ce fut le cas pour HSBC au moment des Swissleaks en 2015, ou, semble-t-il, pour le groupe Vivendi via son agence Havas après la parution de deux enquêtes dans Le Monde en 2014, ou encore avec LVMH rejoint par d’autres marques après la Une provocatrice et l’article de Libération sur Bernard Arnault en 2012. 


Ces réflexions se prolongent avec les activités de diversification - notamment en matière de co-production événementielle et de création de contenus tels que native advertising ou brand content pour les marques - et de partenariats des médias avec les plateformes. À divers titres (lancement de nouveaux produits, financement de la lutte contre les fake news), les plateformes sont devenues des acteurs très importants pour le financement de nombreux médias. Même si les GAFAM indiquent clairement ne pas s’impliquer dans la politique éditoriale des médias, les plateformes financent certains médias pour qu’ils créent des produits d’informations spécialement pour répondre à leurs besoins et à ceux de leurs utilisateurs.   


Comment le média est-il diffusé ?


On ne le sait pas forcément, mais ce n’est pas le kiosquier qui choisit les titres qu’il présente à ses clients dans son kiosque ou son relais presse. Pour garantir aux citoyens un accès à la pluralité des points de vue et des analyses politiques, économiques, etc., la loi oblige ces enseignes à distribuer tous les médias de manière impartiale. 


Ces contraintes, très fortes, pour un distributeur (de ne pas choisir son achalandage, de ne pas pouvoir négocier avec ses fournisseurs) n’existent pas sur le web. L’année dernière, seulement 23% de l’audience en ligne d’un média lui arrivait en direct ; et 77% de son audience provenait des moteurs de recherche, des réseaux sociaux et dans une moindre mesure des agrégateurs, alertes mobiles et des newsletters. 


Compte tenu de cette proportion, la dépendance des médias à l’égard des plateformes semble vitale pour drainer du trafic vers leur site. À ce titre, les investissements technologiques et humains réalisés par les médias pour être bien indexés par les moteurs de recherche et actifs sur les réseaux sociaux sont colossaux. Au quotidien, l’éditeur d’un article pour le web ne peut pas ignorer Google lorsqu’il s’apprête à valider son titre et à cliquer sur “publier”. Cependant, les plateformes restent les seules juges de leur politique de référencement, de visibilité de contenu, de partenariats et peuvent en changer du jour au lendemain.


Le “droit voisin” tel qu’il est en train d’entrer en vigueur entre les plateformes et les éditeurs viendra renforcer cette dépendance entre le monde des géants de la technologie et celui des éditeurs de presse en Europe. Calculé à partir des performances d’usage (audience, clics, pages vues) des contenus médiatiques dans les services des moteurs de recherche et réseaux sociaux, ceux-ci verseront une rémunération aux éditeurs appelée “droit voisin” du droit d’auteur. Logiquement, ce sont les médias qui ont pu investir massivement dans leur outil technologique et qui respectent au mieux les codes définis par les moteurs et les réseaux pour être présents sur les plateformes qui seront le mieux rémunérés et qui pourront donc réinvestir… laissant la pluralité des médias (et la diversité de leur capacité d’investissement) sur le bord de la route.


Conclusion


À chaque fois que l’on découvre un nouveau média, il est nécessaire de se demander quels dispositifs celui-ci a mis en place pour protéger ses journalistes des tentatives d’influence. Est-ce que les processus de vérification et de validation de l’information sont clairs et respectés ? Est-ce qu’il existe une charte de déontologie ? Est-ce qu’il existe des garde-fous lorsque des erreurs ou manquements sont identifiés. Est-ce qu’il existe des procédures pour les traiter ? Est-ce qu’elles ont déjà été appliquées ? 


Différents projets de certification ou de labellisation des médias voient le jour depuis quelques années. Est-ce qu’ils pourront contribuer à recréer de la confiance entre les médias et les citoyens ? Toutes les initiatives doivent être examinées pour le moins. Ces quelques lignes ont pour but de donner à voir certains éléments du débat sur l’indépendance des médias. L’information est un sujet qui génère tellement d’affect que l’on a souvent tendance à confondre qualité de l’information et ligne éditoriale. Tout article qui ne correspond pas à ma vision du monde et de ses enjeux est biaisé voire trompeur. La pluralité des visions du monde se résout avec la diversité des titres. Le législateur essaie de la garantir à travers des lois qui fixent des seuils de détention de médias, des aides directes et indirectes, l’inventaire des kiosques… Autant de règles qui restent largement à inventer sur Internet. 


Pour être certaine de ne pas pouvoir être soupçonnée de dépendances vis-à-vis de tiers, en théorie une entreprise de média ne devrait pas appartenir à une personnalité physique qui ne soit pas journaliste ni à un groupe qui ne posséderait pas que des médias, elle ne devrait pas pouvoir se financer autrement que par les abonnements ou les dons, ne recourir à aucune aide ou subvention de l’État, exclure tout contrat commercial avec les plateformes, probablement enfin s’abstenir de publier sur les réseaux sociaux et proscrire ses articles et vidéos des résultats des moteurs de recherche.


Les médias qui répondent à tous ces critères n’existent pas. Ceux qui répondent à la majorité de ces critères et qui sont bénéficiaires se comptent sur les doigts de deux mains. Ils ont toutes les raisons du monde de s’en féliciter d’ailleurs. Est-ce à dire que tous les autres médias fournissent des informations biaisées à leurs lecteurs ? Ces quelques réflexions auront peut-être permis de comprendre un peu mieux pourquoi il est difficile de parler des médias et de leur indépendance en général. Elles ne visent pas à encenser la profession et encore moins tous les médias, mais à permettre de mieux s’orienter dans le panorama foisonnant des médias, envisager quelques raisons qui justifient les différences de qualité dans le traitement des informations des uns ou des autres et aussi à ménager nos attentes. C’est pour cela, me semble-t-il, qu’il serait intéressant d’utiliser le terme d’”indépendances” des médias au pluriel pour discuter de ce concept et de ses réalités de manière plus apaisée. Voire de proposer un autre critère, celui de la “transparence”, pour établir avec nos lecteurs un “contrat” qui s’appuie sur des bases plus objectives, plus solides et plus fines.


bottom of page